POURQUOI UN ENTRETIEN, VOIRE PLUSIEURS, NE SONT PAS SUFFISANTS POUR CONFIGURER UNE THÉRAPIE

POURQUOI UN ENTRETIEN, VOIRE PLUSIEURS, NE SONT PAS SUFFISANTS POUR CONFIGURER UNE THÉRAPIE

Alberto Eiguer

Aujourd’hui que la psychanalyse est violemment questionnée, préciser en quoi elle est différente et pourquoi elle peut se rendre utile aux personnes qui souffrent me semble intéressant. Je l’aborde sous un angle classique sans contester que d’autres modalités de prise en charge sont efficaces, bien qu’il convienne d’étudier leur fonctionnement.

J’aimerais parler de la différence entre thérapeutique et thérapie. La première parle d’une action qui vise à soulager un ou plusieurs symptômes, à rendre opérante une fonction déréglée, à surmonter un conflit. La seconde parle d’une pratique ou d’une cure qui vise quelque chose d’autre que réduire un symptôme ou une dysfonction : la mise en forme d’un dispositif qui cherche à développer une fonction psychique, comme par exemple la prise de conscience, l’intériorisation, la subjectivation. La thérapie est aussi une forme de soin mais elle l’accomplit indirectement. Sa visée thérapeutique est réalisée à un deuxième niveau. Cette différence entre thérapeutique et thérapie est suffisamment importante pour écarter l’idée que la réalisation d’un ou plusieurs entretiens avec un patient, un couple, une famille, un groupe, une institution, soit une thérapie.

Plus précisément, celle-ci essaie d’établir un cadre, des règles ; elle a des objectifs précis, utilise certains outils comme l’interprétation, la construction, travaille sur les résistances et compte sur le transfert et le contre-transfert pour faire avancer le processus. Elle s’inscrit dans la durée ; la temporalité joue un rôle majeur dans son efficacité : la rythmicité se manifestant par l’alternance de périodes, par ex. de travail et de vacances, à l’intérieur même de la séance et de la semaine analytique, a une valeur dynamique par les émotions et les fantasmes qu’elle suscite. Le temps permet l’expression de l’après-coup avec des changements d’interprétation concernant les émergents successifs, le développement de la pensée et la configuration d’une narrativité originale. En thérapie on vit des moments de découverte, apparaissent des émergents imprévus ; on est surpris, saisi. L’après-coup implique, à part l’introduction d’un élément insolite et d’une compréhension nouvelle, une conséquence structurelle, autrement dit on acquiert un mode de fonctionnement, par exemple, de penser, d’approcher un problème. Pour cela, il nous faut du temps.

La thérapeutique diminue ou supprime un ou plusieurs problèmes, mais elle n’est pas « thérapique » dans la mesure où elle n’aide pas à établir de nouveaux fonctionnements et encore moins à les développer. En thérapie, les changements apparaissent de surcroît. Jacques Lacan le dit de l’analyse ; son application à toutes les thérapies est légitime. S’il veut déclencher des changements, le clinicien qui veut guérir par sa thérapeutique ne peut que se servir d’outils pédagogiques, par exemple suggérant au patient la rédaction d’un carnet intime pour favoriser son introspection. Ces outils ne suivent pas le modèle du changement propre à la thérapie, qui le provoque plutôt de façon indirecte, moyennant des prises de conscience à la suite de la reconnaissance des limites des méthodes que le patient ou le groupe ont pu mettre en place spontanément. Quant à la question de la durée, qu’une thérapie soit longue n’est pas aussi déterminant que le fait qu’elle n’établisse pas une durée ni un terme. Parmi d’autres régressions, cela configure un état d’illusion d’éternité qui favorise in fine le changement.

Les entretiens cliniques se différencient en entretiens d’investigation, d’exploration, diagnostiques, préliminaires (à une thérapie) ou thérapeutiques. Ils s’adressent à un individu, un couple, une famille, un groupe. Dans tous les cas, ils diffèrent des thérapies comme nous venons de le voir.

Dans cet ordre d’idées, on peut inclure dans la thérapeutique le soin institutionnel, il instaure nombre d’actions dont les groupes soignants-soignés, mais la sociothérapie, l’ergothérapie, la théâtre-thérapie, les nombreux ateliers d’art-thérapie, de lecture, d’écriture, ont le droit de se revendiquer du registre de la thérapie. Depuis des années, la différence entre thérapeutique et thérapie s’applique au jeu des rôles dont le contre-point « de thérapie » est le psychodrame analytique. On peut appliquer la notion d’écoute aux entretiens certes, mais cette écoute ne suffit pas à créer une dynamique de thérapie ; habituellement, celle-ci n’est pas prévue ni énoncée d’avance. Au contraire, si le thérapeute le faisait, il risquerait de créer de la confusion par ambiguïté, etc. Cela étant, indiscutablement, toute écoute a une fonction thérapeutique.

Je n’ai pas précisé des différences entre thérapie analytique et cure analytique, car pour ce qui concerne l’angle de vue ici choisi cela ne compte pas beaucoup. Ce que je dis sur la thérapie peut s’appliquer à la cure type et vice versa. Par ailleurs, d’après moi, l’analyse peut se réaliser auprès de patients en individuel, couple, famille, groupe, institution. Ils configurent une « extension de l’analyse » (Kaës, 2015).

Voici un tableau comparatif

THÉRAPEUTIQUE THÉRAPIE
Pratique à durée déterminée

Une action permettant :

Soulagement, réduction ou diminution

-d’un symptôme (ou +)

-d’un problème

-d’un dysfonctionnement

Rend opérante une fonction déréglée

Aide à surmonter un conflit

Mais pas de développements nouveaux

Méthode avec limite de temps et de portée

Variantes :

Entretiens d’exploration, d’investigation, diagnostic, préliminaire…

Ex., entretiens thérapeutique individuel, de couple, de parents-enfant, de famille

Ex., soins en institution, jeux de rôle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pratique d’une cure à durée indéterminée

Buts : le développement de la

–         Prise de conscience

–         Intériorisation

–         Subjectivation

Un facteur favorise ces buts, l’atemporalité, c’est-à-dire la suspension de l’écoulement du temps, ce qui entraîne pendant un bon moment un sentiment d’éternité, et qui permet :

-La construction du processus

-Les expressions dans l’après-coup : l’émergence d’imprévus ; de l’insolite, avec saisissement intérieur

-Les souvenirs s’enrichissent au fur et à mesure de nouveaux éléments, de versions qui diffèrent parfois des précédentes et de découvertes, et de ce fait une compréhension renouvelée apparaît

-Cela conduit à des réajustements interprétatifs

-Au développement de la pensée

-A la configuration de la narrativité

-Au réexamen du sens de la demande

-A la ré-analyse d’émergents pendant le u processus

-Une conséquence au niveau de la structure : « acquisition d’empreintes ou de modèles inédits »

-Un nouveau mode de fonctionnement :

–réduction des actings, du sadisme

–développent du souci pour autrui, reconnaissance mutuelle, notion de groupalité

–utilisation préférentielle des processus secondaires

Ex. : cure psychanalytique d’individu, couple, famille, groupe, psychodrame.

 

 

 

 

 

Outils

Quelques entretiens

Écoute

Contenance par soutien et étayage

Outils pédagogiques et analytiques

Suggestion pour l’introspection

Etc…

 

 

 

 

 

 

 

 

Outils

Mise en forme d’un dispositif analytique :

Cadre, règles, objectifs précis. L’analyste a réalisé une cure analytique (deuxième règle)

Utilisation d’interprétation et constructions

Travail sur les résistances et leur perlaboration

Prise en compte du T et CT, ce qui fait avancer le processus

Intérêt pour certains aspects de la temporalité :

rythmicité (ex. à l’intérieur de la séance, de la semaine analytique, de l’année : alternance travail/vacances) et valeur dynamique des émotions et des fantasmes qu’elle suscite.

 

 

 

 

 

TABLEAU Thérapeutique et thérapie, préparé par Elisabeth Darchis d’après Alberto Eiguer