INTRODUCTION AU NUMERO 72 « ECRITURE DE SOI, ECRITURE DE GROUPE » de la Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe. Parution mai 2019

Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe. Numéro 72. Parution mai 2019.

Introduction au numéro

Alberto Eiguer et Bernard Chouvier

 

Aborder l’écriture par le groupe risque de paraître incongru tellement l’écriture apparait comme une activité solitaire. Toutefois le groupe se déploie en coulisses : celui qui inspire l’écrivain, ses alter-ego, son groupe interne, les groupes auxquels il appartient, et ses lecteurs. Il lui arrive d’échanger avec des interlocuteurs à propos de son écriture, leur adresser des brouillons, attendre avec fébrilité leurs réactions et leurs commentaires. Comme dans nombre de liens, celui qui s’imagine être le maitre –ici l’acteur du geste d’écriture‑ n’en est que le subsidiaire ou le serviteur. On peut ainsi se demander si le véritable créateur est en fait l’écrivain, son groupe d’appartenance ou une instance inspiratrice d’une autre  nature.

Pour sa part, Edith Lecourt nous présente une série de situations groupales qui mettent en valeur les principales modalités créatrices de l’écriture : comme fondation du groupe, comme son aboutissement, comme médiation thérapeutique. Ainsi l’’écriture structure le groupe, dans la mesure où elle est toujours partagée.

De son côté,  Elisabeth Darchis envisage nombre de ces perspectives ; parmi d’autres, les concepts de fantôme, de crypte, de travail du négatif sont évoqués avec pertinence. Son apport aborde le cas des professionnels qui rédigent des mémoires de fin de cursus, véritable tournant dans l’intégration de leur formation.

En cours d’écriture, celui qui écrit est inspiré ou accompagné par d’autres qui lui suggèrent des idées et des mises en forme, manifestent leurs propres désirs plus ou moins ouvertement. Il a besoin d’une reconnaissance à propos de la réussite, de la beauté et de la cohérence de son travail. D’autre part son groupe intérieur le porte : dans tous les cas on écrit pour soi comme on écrit pour autrui. Puis notre plume peut être portée par la main d’un autre. Dans sa contribution au numéro, Janine Altounian nous émeut en révélant qu’elle écrit à la place de sa mère qui, privée d’école, n’a pu apprendre à écrire.

Quand les liens avec les groupes d’appartenance deviennent prédominants, comme le montre Freud dans Psychologie des foules et analyse du moi, ils constituent  un  port d’attache pour le sujet. Et on pourrait y adjoindre les groupes d’affiliation, pour reprendre la formulation d’E. Pichon-Rivière, c’est-à-dire ceux auxquels nous adhérons de façon relativement peu engagée. Florence Cabot et Denis Mellier apportent des idées originales à ce débat par un travail sur un atelier d’écriture où le passage par les représentations du corps montre que celles-ci interviennent dans l’acte d’écrire : elles sont d’autant plus mobilisées que celles du corps d’autrui entrent en résonance avec elles.

De plus ce numéro donne une place à des cliniciens qui organisent des groupes d’écriture dans un but thérapeutique ou d’accompagnement, et à ceux qui participent à des groupes afin de développer une activité littéraire.

Erica Francese met en évidence comment la groupalité fertilise la créativité dans ses ateliers d’écriture en les comparant à d’autres médiations. Il ne s’agit pas tant d’identification que d’une co-pensée qui transforme les associations en nouvelles figures et représentations.

Le fait même d’écrire peut se révéler transgressif, voire destructeur comme le constate l’écrivain Michel Butor. De plus l’écriture risque de favoriser le narcissisme enclin à dépasser les limites du temps et de l’espace, pour en venir au fantasme d’auto-engendrement si fréquent dans la démarche autobiographique.

Il importe que les analystes étudient les mécanismes de fonctionnement de ces groupes d’écriture. Leur apport est d’autant plus intéressant que la groupalité est un des ressorts particulièrement dynamisants de l’acte d’écrire : contenance, sécurisation, soutien, inter-fantasmatisation, co-pensée, induction d’affects, et émergence de ressources ignorées.

Ecrire est aussi rassembler, regrouper des idées, les transformer, celui qui écrit creuse en soi, et dans cette mobilisation il se dédouble ; en se relisant, il devient l’observateur de ce qu’il a pu accomplir à partir de ses intentions premières. Jean-Marc Talpin met au travail cette idée dans ses ateliers d’écriture où après la rédaction du texte le participant le lit aux autres et l’ajoute au débat.

Si le geste d’écriture sollicite le rassemblement, c’est qu’il est inspiré, mobilisé, appréhendé, par le désir inconscient de se regrouper. Chaque contribution peut porter sur la fiction, l’écrit scientifique, l’écrit épistolaire, le journal intime, l’écriture d’un mémoire, l’autobiographie, les étapes de l’écriture, les groupes thérapeutiques d’écriture, les ateliers de création littéraire, et l’écriture plurielle. Certains articles parlent de cette expérience, celui de Carine Maraquin et également celui de Sandrine Clergeau.

Le thème de l’écriture épistolaire est analysé par Alberto Eiguer qui prend comme exemple la correspondance Freud-Ferenczi lors de l’analyse de celui-ci par Freud. Il s’interroge sur la viabilité de l’analyse par lettres, notamment dans un lien où le contexte groupal est surdéterminé par une emprise dysfonctionnelle. Ferenczi a-t-il voulu s’en libérer en poursuivant épistolairement son analyse avec Freud?

Vincent Cornalba s’occupe également de correspondance, pour illustrer une réflexion fouillée sur l’évolution de la représentation d’objet. Il fait recours, parmi bien d’autres notions, à celle de témoin : l’écrit devient un témoin du vécu du sujet lui-même.

L’articulation de l’écriture avec d’autres médiations est présentée par Christine Falquet-Clin et Sandrine Pitarque. La première travaille sur la musicothérapie et l’écriture et la seconde sur les groupes dont les membres se réunissent pour explorer leurs origines générationnelles. Les virtualités de la narration y sont analysées. C’est aussi le cas de Radu Clit qui étudie l’œuvre littéraire de Herta Müller associée à Oskar Pastior, victime de la déportation de la minorité allemande de Roumanie.

Depuis le négatif de la page blanche qui suscite une inquiétante attraction jusqu’au trop plein d’objets qui inondent l’espace d’écriture, un groupe s’organise néanmoins. La prégnance groupale offre la possibilité de trouver la juste mesure d’une expression créatrice qui ménage à la fois la présence subjective et la puissance de l’imaginaire. Ce numéro propose une série d’éclaircissements et d’approfondissements de ces thématiques.