POURQUOI DES RECHERCHES EN PSYCHANALYSE DE COUPLE ET FAMILLE (PCF) ?

POURQUOI DES RECHERCHES EN PSYCHANALYSE DE COUPLE ET FAMILLE (PCF) ?

Alberto Eiguer avec la relecture de Françoise Mevel

Une discipline comme la nôtre peut se réjouir de trouvailles et des résultats cliniques. Cela ne justifie pas que nous arrêtions de nous interroger sur nos concepts et sur notre pratique. Depuis nombre d’années les principes de base ont été établis mais pas assez rafraîchis au vu de l’évolution des demandes et des changements au sein de la psychanalyse. Celle-ci n’est plus la même depuis l’époque de Winnicott et de Bion. Par vagues successives, la psychologie du self, la théorie de l’attachement, l’intersubjectivité ont envahi les bibliothèques et influencé les praticiens. Certes cela ne suppose pas qu’elles soient séduisantes ou vraiment originales mais elles sont internationalement répandues. Et bien que ce ne soit pas la mode qui donne la valeur aux idées, notre modèle devrait être confronté à ces nouveautés, identifier ce qui lui semble intéressant dans ces courants, et si cela nous parait compatible et cohérent avec nos pratiques, adopter éventuellement telle ou telle idée.
Notre fidélité envers les maîtres analystes ne nous préserve pas de nous tromper (une idée n’est pas forcement correcte du fait qu’elle ait été trouvée par un génie), c’est un

  1. Des notions de l’analyse individuelle, par exemple inconscient familial, mécanisme de défense, transfert.
  2. Des notions de l’analyse groupale : inter-transfert.
  3. Des notions usuelles en sociologie et en anthropologie : alliance inconsciente, lien fraternel, mythe.
  4. Des notions originales, peu nombreuses en proportion : holding onirique, lien inter-subjectif, mythopoïèse.

Je dirais que nombre de nos collègues restent fascinés par les découvertes des débuts et ils ne voient pas qu’en calquant directement leurs concepts ils déforment leur message et avec cela leur efficacité. Pour appliquer des idées à la famille ou au couple, je préférerais que l’on imite moins et que l’on s’identifie davantage, pas uniquement s’en tenant aux conclusions des anciens, mais en en adoptant l’esprit et pas seulement la lettre. Pour cela, il conviendrait de revenir tour à tour aux raisons qui ont déterminé leur démarche à l’origine et qui ont fait qu’un concept déterminé ait un sens en relation à l’ensemble structuré des idées dans lesquelles il s’insère. Aucune notion ne devrait se proposer sans une adaptation au groupe familial et à sa clinique singulière. Cela signifie de les reconvertir, de les transformer, voire même de les déformer en toute conscience, mais aussi d’en assumer les changements.
C’est ici que la recherche entre en scène. Elle met à l’épreuve et vérifie la validité d’un concept. Pour cela elle le soumet au crible de la confrontation à d’autres concepts et notamment à la clinique, en appliquant chaque fois le principe de réfutabilité.
Ainsi la recherche peut contribuer à résoudre nos difficultés sur la théorie, la clinique et la pratique ; celles-ci prennent parfois la forme de blancs qui mettent notre fidélité aux PCF en difficulté.
Entre autres influences, c’est la dépendance à la nosographie psychiatrique classique qui me pose problème ; elle nous fait oublier que la PCF s’est dressée à l’encontre de la notion de maladie mentale, qui est classiquement référée à l’individu singulier. Cela a lieu aussi bien au niveau du diagnostic que de la psychopathologie, alors même que ces domaines sont objet de critiques par les psychiatres eux-mêmes mettant en cause la raideur des classifications des maladies mentales qui usent des critères biologisants ou comportementaux. Nous devons nous interroger chaque fois que nous traitons un cas familial si le diagnostic et le pronostic ne devraient être déconstruits afin, en premier lieu, que la famille ne se réfugie plus derrière ces références pour éviter de se questionner sur la participation du psychisme groupal au devenir malade et à l’entretien des symptômes. En deuxième lieu, nous risquons d’être attirés par des déterminismes individuels. Nous abusons trop par exemple de termes comme « famille de psychotique », « couple d’alcoolique », « … toxicomane ». Et moi-même je n’y échappe pas.
Je pense que nous devons octroyer à la recherche sa place de choix pour confirmer nos hypothèses notamment afin d’aborder les nouveaux défis cliniques. Je pense que beaucoup a été réalisé à ce propos mais l’épreuve clinique n’a pas encore dit son dernier mot.
La plupart des recherches existantes concernent néanmoins ce domaine de la clinique. Elles sont largement prédominantes à l’insu des recherches théoriques et techniques selon le rapport rédigé par D. Maldavsky et al. (2012). Toutefois, je me réjouis de l’utilisation progressive d’outils spécifiquement familiaux en recherche clinique : le génogramme, le spatiogénogramme, l’arbre généalogique, le dessin et le plan de la maison, la maison de rêve (spatiographie familiale), le dessin et la photo de famille, le psychodrame familial, la lecture d’écrits littéraires ou autres, sont des épreuves réalisées en famille par de nombreux TFP dont les conclusions permettent de reconnaitre davantage les fonctionnements de groupe.
Considérées désormais comme des médiations, ces épreuves sont au cours de la séance de PCF et d’ailleurs employées depuis longtemps : elles y favorisent l’épanouissement groupal de l’imaginaire et le travail de et sur le préconscient fréquemment appauvri dans nos familles.
Mais la modernité nous interroge aujourd’hui plus que jamais sur le fonctionnement psychique des co-thérapeutes, aussi bien au niveau de leur contretransfert que de leur élaboration dans leur subjectivité et entre eux. Il est grandement sollicité lors du processus. A. Ruffiot (1980) disait « La famille est en quête d’un auteur » ; il supposait que cet « auteur » serait le thérapeute tutélaire et modèle de référence. Aussi le thérapeute propose en séance, sans s’en apercevoir, un mode de fonctionnement, une capacité d’éprouver les affects indicibles, de penser les impensables et de fantasmer les irreprésentables. Bien plus que de ce qui a été souligné depuis des décennies, ces perspectives configurent un facteur de changement et nombre de fois devant des cas familiaux difficiles, elles font la différence nous permettant de sortir des impasses. J’ai jadis (Eiguer, 2001) souligné l’intérêt du contretransfert dans la reconnaissance des processus mentaux de la famille au cours de la séance et l’ai appliqué autant que je l’ai pu à mes propres recherches.
C’est pour toutes ces raisons que je vous invite à travailler davantage dans le domaine de la recherche. Le bureau de la SFTFP sous la présidence d’A. Loncan et actuellement de F. Aubertel s’est pleinement engagé dans la création d’une commission scientifique dont une des fonctions est le développement des recherches. Celle-ci a choisi comme thème général d’étude la pratique des PF et principalement le contretransfert du (des) thérapeute (s). Nous souhaitons ainsi contribuer à la mise en valeur de la spécificité de la PCF. Pour cela, de petits groupes au niveau national et local s’organisent. Nous y apprenons beaucoup de choses notamment en mobilisant notre réflexion sur la façon dont nos équipes élaborent, résistent, se désorientent, et bien d’expressions de notre groupalité inconsciente. Nous apprenons aussi à être plus prudents et à rester modestes. Nous étudions les précédents bibliographiques, travaillons sur la méthode qui est différente de toute autre méthode clinique ou thérapeutique, et l’appliquons. Certains résultats ont déjà été partagés avec les membres de la SFTFP en journée interne et sur Le lien.
En même temps, je reconnais que cette activité est longue, ingrate souvent par la désorientation qui s’installe dans les équipes et par la maigreur des résultats eu égard aux efforts réalisés. Mais elle est indispensable à notre progrès. La recherche nous est également réclamée par la communauté scientifique et bientôt elle le sera par les organismes de tutelle de nos formations. Cela s’est passé ainsi avec les universités françaises, qui ont désormais comme exigence de réaliser des recherches en même temps que leur activité d’enseignement. Nous avons par ailleurs beaucoup à apprendre d’autres chercheurs en PCF aussi bien de France que de l’étranger.
Comment avons-nous mis en route ce travail ? Actuellement fonctionne une équipe sur « Les lapsus et les actes manqués du thérapeute ». Quand nous travaillons en recherche sur notre fonctionnement la méthodologie devient complexe : dans cette recherche, nous constituons nos échantillons avec nos propres lapsus et actes manqués. Nous pouvons extraire des séquences précises de nos séances de PCF, mais comment conserver la neutralité de la recherche ? Nous sommes en train de noter qu’en groupe la régulation se fait plus facilement dès lors que chaque chercheur apporte ses commentaires et ses remarques à l’instar des groupes d’inter-transfert : chacun supervise autrui tandis que l’atmosphère du groupe favorise la spontanéité et l’accès donc aux processus inconscients.
D’autres équipes sont en instance de formation :
« Le couple dans la famille » dirigée par F. Aubertel.
« Les changements du cadre en TFP »
Je souhaite que le thème suivant soit retenu : « Les résultats des TFP. » C’est un sujet que j’ai traité pour la préparation de mon habilitation à la direction de recherches (sous la direction d’E. Lecourt) et publié dans le Divan familial (2001). Mais cette étude comporte des carences et elle mérite d’être reprise et élargie.
D’autres groupes sont en projet : « La radicalisation des adolescents et leurs familles. » P. Benghozi.
« L’hallucinatoire dans le processus de figuration et de symbolisation. » Avec la participation de collègues membres de la SFTFP et éventuellement étrangers.
« La place et la fonction de l’observateur en TFP » La STFPIF est intéressée à ce propos et les membres de ce bureau croient utile des membres de la SFTFP y participent. On a même évoqué l’idée de formaliser une sorte de pont inter-associatif à cette occasion.
« Le néo-groupe », une initiative d’Evelyn Granjon.
« Corps social, corps individuel, corps familial : quels soins ou nouveaux défis cliniques en santé mentale ? », une proposition de Martine Vermeylen.
Il est tentant de reprendre le travail sur « Les concepts en PCF », qui a été objet d’un premier rapport ; nombre parmi vous ont exprimé ce souhait. Ce serait l’occasion d’échanger sur nos préférences théoriques, leurs différentes interprétations : on peut imaginer que les discussions seront riches.
Par ailleurs, il a été question lors de dernières réunions du bureau d’ouvrir dorénavant un groupe de recherche sur chaque thème de colloque. Cela fut engagé par le comité d’organisation de Besançon à l’occasion du colloque de 2017 : « Les fantômes du futur. »
Nous restons à la disposition de chaque membre pour discuter des activités de recherche en cours et à organiser. En vous encourageant ardemment à participer à cette activité, je vous rappelle le nom des membres de la Commission scientifique : Françoise Mevel (secrétaire), Ouriel Rosenblum, Patrice Cuynet, Pierre Benghozi et Alberto Eiguer (directeur).

Eiguer A. (2001) « Les résultats des thérapies familiales psychanalytiques. Essai d’interprétation », Le divan familial, 2001, 7,137-152.
Maldavsky D. et al. (2012) Rapport. Commission ad hoc sur la méthodologie de la recherche en psychanalyse de couple et famille. AIPCF.
Ruffiot A. (1980) « Fonction mythopoïétique de la famille. Mythe, fantasme, délire et leur genèse », Dialogue, 70, 3-19.